Les peuples autochtones, gardiens de la Terre

Les peuples autochtones, gardiens de la Terre

Un texte de la princesse Esmeralda de Belgique, ambassadrice d'honneur du WWF-Belgique.

Les peuples autochtones sont les meilleurs gardiens de la Terre. Nous le savions mais le récent et important rapport rédigé par plusieurs organisations environnementales dont le WWF donne enfin une base scientifique à ce constat. Il confirme que la quasi-totalité des terres gérées par des communautés locales ou indigènes est en bon état écologique.

Une surface représentant un tiers de la planète et couvrant au moins 36 % des habitats les plus importants de la biodiversité mondiale tels que l’Amazonie ou le bassin du Congo. La conclusion de cette étude est claire : nous ne pourrons pas gagner le combat contre la perte de biodiversité et la crise climatique sans un partenariat étroit avec les communautés autochtones et locales.

Nous avons beaucoup à apprendre de leur savoir ancestral. Leurs pratiques agricoles traditionnelles, par exemple, qui sont adaptées aux conditions climatiques de plus en plus extrêmes.  Ainsi, au Bangladesh, les villageois créent des vergers flottants pour faire face aux inondations. Ils plantent aussi des arbres plus résistants à la sécheresse ou des mangroves comme protection contre l’érosion des côtes. Dans les Andes équatoriennes, les Quechua utilisent un système très ancien d’irrigation et de drainage pour lutter à la fois contre les effets de la chaleur et du gel. En Australie, depuis des millénaires, les Aborigènes combattent  les incendies de forêt grâce à leur technique de brûlis. 

Le système alimentaire des autochtones est également très diversifié avec des fruits, des plantes, des céréales et des poissons souvent peu connus en dehors de leur région ce qui pourrait accroître notre  approvisionnement en denrées et contribuer à la sécurité alimentaire mondiale. Mais surtout, les peuples indigènes vivent en parfaite harmonie avec la Nature grâce à leur gestion durable des ressources enracinée dans leur culture et leur mode de vie assurant la meilleure protection de la biodiversité. Ils possèdent en outre une bonne connaissance des conditions et modèles météorologiques qui impressionnent depuis longtemps les scientifiques. Carlos Nobre, le climatologue brésilien, a confié son admiration pour la compréhension des communautés amazoniennes envers l’interaction des plantes et du cycle de l’eau. Celles-ci avaient en effet remarqué depuis longtemps que la réduction des forêts entraînait une diminution des pluies, accentuant la sécheresse. Sans oublier l’érudition des autochtones en matière de plantes médicinales. Toutes ces observations écologiques traditionnelles transmises de génération en génération  depuis des siècles sont holistiques et basées sur le respect pour la Nature et l’interdépendance de chaque espèce liée par des relations d’équilibre qu’il ne faut pas rompre. Elles peuvent contribuer de manière essentielle à la science et à la technologie moderne.

Mais au-dela de les considérer comme des alliés indispensables, nous devons également protéger les droits et l’existence même des peuples premiers. Particulièrement affectés par la crise climatique et écologique en raison de leur mode de vie en symbiose avec les ecosystèmes dont ils dépendent pour leurs ressources et leur culture, ils sont aussi en première ligne pour défendre leurs terres et par conséquent subissent violence et agression.

Et ceci est spécialement vrai en Amazonie. Ces dernières semaines encore, des mineurs ont tiré des coups de feu depuis leur bateau sur des groupes de Yanomani qui se trouvaient au bord de la rivière. Cette ethnie a déjà payé le prix fort des incursions d’orpailleurs et d’exploitants illégaux sur leur territoire. Nombreux sont morts empoisonnés par les produits chimiques abandonnés dans les sols et les cours d’eau. Dans l’état de Para, ce sont les Munduruku qui font face aux invasions de plus en plus nombreuses. Au Mato Grosso, Valdelice Veron, une leader du peuple Guarani-Kaiowa lance un appel désespéré à l’Europe, conjurant ses dirigeants à cesser d’être complices du « génocide » entrepris par le gouvernement brésilien à l’égard des indigènes.

« Les Indiens, c’est la terre. Et la terre pour les Indiens, c’est la justice » avait déclaré Luciano Mariz Maia, un procureur de la république brésilien. C’est bien l’enjeu de ce combat qui n’a jamais cessé. Les richesses du sous-sol de leur territoire sont une malédiction pour les populations locales d’Amérique latine, mais aussi d’Afrique et d’Asie. Victimes de la colonisation, décimées à la fois par les maladies, l’esclavagisme et la maltraitance, exploitées et marginalisées, elles sont aujourd’hui les victimes des multinationales pétrolières et minières qui ne les consultent pas, les chassent de leur territoire et utilisent violence et intimidation.

Au Brésil où les droits des autochtones sont pourtant intégrés dans la constitution de 1988 et où des terres démarquées leur ont été données en usufruit, les populations indigènes souffrent toujours de discrimination et leurs droits sont sans cesse remis en question. Depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, qui ne cache pas son mépris pour les Indiens et son désir d’ouvrir leurs territoires au développement agricole et à l’extraction minière, elles font face à une recrudescence de violence physique, d’expulsions et de criminalisation. En outre un projet de loi (nr 490) visant justement à autoriser l’exploitation de sites miniers, la construction de routes et de centrales électriques sur des terres protégées, même s’il vient d’être postposé, est toujours sur la table du Sénat.

En cette année 2021 cruciale pour notre futur avec les conférences sur la biodiversité en Chine, sur le climat en Ecosse et le congrès mondial de la conservation en France, il est essentiel que les peuples autochtones soient reconnus comme partenaires indispensables et participent aux négociations. L’extrême urgence de la crise climatique et de la perte catastrophique de biodiversité doit nous faire comprendre qu’une nouvelle approche est nécessaire. La conservation de la Nature ne peut plus être le domaine prédominant des pays du Nord et doit être, elle aussi, « décolonisée ». Elle doit devenir inclusive, respecter les droits des populations locales et les consulter pour toute décision et action ayant un impact sur leurs terres, leur style de vie et leur culture. L’objectif de conservation d’au moins 30% des terres et des océans d’ici 2030 ne peut en aucun cas se faire au détriment des populations locales et sans leur participation. C’est une question de justice et de morale autant qu’une mesure essentielle pour assurer la survie de l’humanité. 

Rapport sur les terres et territoires des peuples indigènes et communautés locales (EN)