Vivre avec l’éléphant d’Asie, un défi qui exige de la créativité

Vivre avec l’éléphant d’Asie, un défi qui exige de la créativité

Autrefois vénéré comme une divinité dans de nombreuses cultures asiatiques, l’éléphant d’Asie est aujourd'hui menacé d’extinction. Entre la perte de son habitat, le commerce illégal d'espèces sauvages et les conflits avec les populations locales, l'éléphant d'Asie fait face à de multiples menaces. Cependant, des efforts de conservation novateurs et des initiatives locales permettent d’imaginer d’autres voies. C’est notamment le cas dans le parc de Kui Buri, en Thaïlande, où la colère fait place, petit à petit, à une cohabitation plus harmonieuse.

Symbole de paix et de prospérité en Thaïlande ou de longévité en Chine, vénéré comme une puissante divinité en Inde, l’éléphant tient depuis longtemps une place de choix dans la culture asiatique. Le Laos doit même son ancien nom de royaume à cette créature majestueuse : « Lan Xang » signifie « Le pays au million d'éléphants ». Un nom qui fait écho à un passé largement révolu.

Au début du XXe siècle, on comptait encore plus de 100 000 éléphants d’Asie. Selon les estimations de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), il en resterait aujourd’hui moins de 50 000 individus à l'état sauvage. Surtout, ils sont confinés dans un habitat d’une superficie qui fait à peine 5 %  de leur aire de répartition originelle. D'immenses pans de forêts continuent d’être détruits pour faire place à des installations humaines. Et ce, souvent sans même prendre en compte les routes cruciales nécessaires pour le déplacement des animaux sauvages. Chaque année, le constat s’alourdit davantage.

Cette perte d’habitat n’est pas la seule menace à laquelle l’éléphant d’Asie se heurte : le commerce illégal d'espèces sauvages - motivé par la demande d'ivoire et de produits médicinaux traditionnels continue de faire des ravages…

Face à cette adversité, un réseau d'humains s'est créé et se réunit pour trouver des solutions afin de comprendre l’animal, de restaurer et de protéger son habitat, et de coexister durablement avec les pachydermes.

En Thaïlande, récoltes pillées et locaux en colère

Il faut près de deux ans pour faire pousser un ananas avant qu'il ne soit mûr et prêt à être récolté. Pour les hévéas, il faut compter au moins six ans avant de pouvoir récolter le latex. On peut donc imaginer la frustration et le déchirement de voir les fruits de sa patience et de son dévouement détruits en quelques minutes seulement. Telle est la dure réalité des personnes habitant autour du parc national de Kui Buri, en Thaïlande, où vivent certaines des plus grandes populations d'éléphants d'Asie du pays.

Pendant des années, ces agriculteurs et agricultrices ont travaillé dur pour vivre de leurs récoltes. Et certains ont vu tout cela s'effondrer sous les pas des géants sauvages sortis de leur forêt. Sans parler de la potentielle dangerosité de se retrouver nez à nez avec un éléphant.

Mais comme ailleurs, les éléphants ne sont pas à blâmer. Réalité logistique oblige, 60 % des éléphants d’Asie vivent aujourd’hui en dehors des parcs nationaux. Leurs lieux habituels de recherche de nourriture ayant été convertis en terres agricoles, il ne leur reste plus grand-chose à manger... si ce n'est les champs généreux qui regorgent de fruits juteux, faciles d'accès et tentants, tous alignés comme un buffet de petit-déjeuner continental.

Après la rage, les solutions novatrices

Après la colère que lui inspiraient ses cultures endommagées, l'agricultrice Nichakan Pongsarikit a décidé de changer de perspective. S'engageant dans un e formation pour devenir guide local, elle a commencé à en apprendre davantage sur les animaux, leur comportement, leurs mouvements et leur habitat, avec le soutien de la Kui Buri Conservation Association et du WWF-Thaïlande.

« Avant, je ne voulais jamais rencontrer les éléphants », dit-elle, alors qu'elle entame sa septième année en tant que guide. « Maintenant, je veux les voir tous les jours. »

Comme elle, d'autres agriculteurs et agricultures touché·es ont également trouvé des moyens novateurs de faire face à la situation. Certain·es fabriquent désormais des souvenirs faits main à partir de produits liés aux éléphants, tels que des teintures naturelles et du papier « poo poo » fabriqué à partir d'excréments d'éléphants. Leurs clients ? Les touristes qui rendent visite aux éléphants dans leur habitat naturel. Bien que cette transformation ne se fasse pas sans difficulté, elle démontre les avantages économiques que la conservation peut apporter aux communautés, ainsi que le rôle vital que celles-ci jouent dans la conservation.

Les fermier·es qui cultivent autour du Kui Buri risquent non seulement de voir leurs récoltes endommagées par les attaques des éléphants, mais aussi de faire des rencontres potentiellement dangereuses.

Conserver la nature, protéger les humains

Depuis 2018, le WWF s’implique dans la conservation des espèces sauvages dans le parc de Kui Buri. Nous suivons les espèces phares du parc, comme le tigre, l’éléphant, l’ours noir asiatique, le pangolin, etc.

Nous nous attelons en priorité au plus grand défi qui règne là-bas : la cohabitation entre humains et animaux. Outre le soutien aux populations locales qui veulent diversifier leurs sources de revenus, nous améliorons l’accès à la nourriture pour les animaux au cœur du parc même et installons des points d’eau supplémentaires, pour les cas de sécheresse et pour éviter que les éléphants ne sortent de leur habitat.

Le WWF, en coopération avec d’autres ONGs, soutient aussi les patrouilles d’écogardes, qui préviennent les conflits entre humains et animaux, tant par des technologies innovantes qui repèrent les mouvements suspects d’animaux que grâce aux patrouilles au sol.

Une histoire de cohabitation parmi d’autres

Ceci n'est qu'une histoire parmi tant d'autres. La conservation des éléphants est une entreprise extrêmement complexe et multiforme qui doit prendre en compte une myriade de dynamiques sociales, de contextes culturels et politiques et de réalités économiques.

Qu'elles partent d'un amour profond pour ces magnifiques animaux ou qu'elles soient nées du besoin de défendre les habitations et moyens de subsistance endommagés, de nombreuses personnes jouent un rôle clé pour construire un avenir où les éléphants pourront prospérer dans des habitats sains aux côtés des communautés locales.

S'il n'est peut-être pas possible d'éradiquer complètement les interactions négatives entre l’humain et l'éléphant, une gestion efficace et holistique des conflits peut les réduire à long terme et même faire fleurir de nouvelles opportunités pour la faune et l'homme.